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DES MÉDITATIONS.

symétrie ni dans l’oreille ni sur la page, me rebutaient. D’ailleurs, ces histoires d’animaux qui parlent, qui se font des leçons, qui se moquent les uns des autres, qui sont égoïstes, railleurs, avares, sans pitié, sans amitié, plus méchants que nous, me soulevaient le cœur. Les fables de La Fontaine sont plutôt la philosophie dure, froide et égoïste d’un vieillard, que la philosophie aimante, généreuse, naïve et bonne d’un enfant : c’est du fiel, ce n’est pas du lait pour les lèvres et pour les cœurs de cet âge. Ce livre me répugnait ; je ne savais pas pourquoi. Je l’ai su depuis : c’est qu’il n’est pas bon. Comment le livre serait-il bon ? l’homme ne l’était pas. On dirait qu’on lui a donné par dérision le nom du bon La Fontaine. La Fontaine était un philosophe de beaucoup d’esprit, mais un philosophe cynique. Que penser d’une nation qui commence l’éducation de ses enfants par les leçons d’un cynique ? Cet homme, qui ne connaissait pas son fils, qui vivait sans famille, qui écrivait des contes orduriers en cheveux blancs pour provoquer les sens de la jeunesse ; qui mendiait dans des dédicaces adulatrices l’aumône des riches financiers du temps pour payer ses faiblesses ; cet homme dont Racine, Corneille, Boileau, Fénelon, Bossuet, les poëtes, les écrivains ses contemporains ne parlent pas, ou ne parlent qu’avec une espèce de pitié comme d’un vieux enfant, n’était ni un sage ni un homme naïf. Il avait la philosophie du sans-souci et la naïveté de l’égoïsme. Douze vers sonores, sublimes, religieux d’Athalie m’effaçaient de l’oreille toutes les cigales, tous les corbeaux et tous les renards de cette ménagerie puérile. J’étais né sérieux et tendre ; il me fallait dès lors une langue selon mon âme. Jamais je n’ai pu, depuis, revenir de mon antipathie contre les fables.

Une autre impression de ces premières années confirma, je ne sais comment, mon inclination d’enfant pour les vers.