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POÉTIQUES.

Et tombe en pétillant sur le granit qui fume
Comme un feu de bois vert que le pasteur allume.
À peine reste-t-il assez de ses vapeurs
Pour qu’un pâle arc-en-ciel y trempe ses couleurs
Et flotte quelque temps sur cette onde en fumée,
Comme sur un nom mort un peu de renommée !…

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Notre barque s’endort, ô Thoune ! sur ta mer,
Dont l’écume à la main ne laisse rien d’amer ;
De tes flots, bleu miroir, ces Alpes sont la dune.
Il est nuit ; sur ta lame on voit nager la lune :
Elle fait ruisseler sur son sentier changeant
Les mailles de cristal de son filet d’argent,
Et regarde, à l’écart des bords d’un autre monde,
Les étoiles ses sœurs se baigner dans ton onde.
Son disque, épanoui de noyer en noyer,
De l’ondoiement des flots, pour nous, semble ondoyer ;
Chaque arbre tour à tour la dévoile ou la cache.
D’un côté de l’esquif notre ombre étend sa tache,
Et de l’autre les monts, leurs neiges, leurs glaçons,
Plongent dans le sillage avec leurs blancs frissons !…
Diamant colossal enchâssé d’émeraudes,
Et le front rayonnant d’auréoles plus chaudes,
La rêveuse Yung-Frau, de son vert piédestal
Déploie aux vents des nuits sa robe de cristal…
À ce divin tableau, la rame lente oublie
De frapper sous le bord la vague recueillie ;
On n’entend que le bruit des blanches perles d’eau
Qui retombent au lac des deux flancs du bateau,
Et le doux renflement d’un flot qui se soulève,
Sons inarticulés d’eau qui dort et qui rêve !…
Ô poétique mer ! il est dans cet esquif
Plus d’un cœur qui comprend ton murmure plaintif ;