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DES DESTINÉES

un vengeur dans cet homme qui les charmait malgré eux. Ils savaient que tous les nobles sentiments se touchent et l’engendrent, et que, dans des cœurs où vibrent le sentiment religieux et les pensées mâles et indépendantes, leur tyrannie aurait à trouver des juges, et la liberté des complices.

Depuis ces jours, j’ai aimé ces deux génies précurseurs qui m’apparurent, qui me consolèrent à mon entrée dans la vie, Staël et Chateaubriand ; ces deux noms remplissent bien du vide, éclairent bien de l’ombre ! Ils furent pour nous comme deux protestations vivantes contre l’oppression de l’âme et du cœur, contre le dessèchement et l’avilissement du siècle ; ils furent l’aliment de nos toits solitaires, le pain caché de nos âmes refoulées ; ils prirent sur nous comme un droit de famille, ils furent de notre sang, nous fûmes du leur, et il est peu d’entre nous qui ne leur doive ce qu’il fut, ce qu’il est ou ce qu’il sera.

En ce temps-là je vivais seul, le cœur débordant de sentiments comprimés, de poésie trompée, tantôt à Paris, noyé dans cette foule où l’on ne coudoyait que des courtisans ou des soldats ; tantôt à Rome, où l’on n’entendait d’autre bruit que celui des pierres qui tombaient une à une dans le désert de ses rues abandonnées ; tantôt à Naples, où le ciel tiède, la mer bleue, la terre embaumée m’enivraient sans m’assoupir, et où une voix intérieure me disait toujours qu’il y avait quelque chose de plus vivant, de plus noble, de plus délicieux pour l’âme que cette vie engourdie des sens et que cette voluptueuse mollesse de sa musique et de ses amours ; plus souvent je rentrais à la campagne, pour passer la mélancolique automne dans la maison solitaire de mon père et de ma mère, dans la paix, dans le silence, dans la sainteté domestique des douces impressions du foyer ; le jour, cou-