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DE LA POÉSIE.

rant les forêts ; le soir, lisant ce que je trouvais sur les vieux rayons de ces bibliothèques de famille.

Job, Homère, Virgile, le Tasse, Milton, Rousseau, et surtout Ossian et Paul et Virginie, ces livres amis me parlaient dans la solitude la langue de mon cœur ; une langue d’harmonie, d’images et de passion ; je vivais tantôt avec l’un, tantôt avec l’autre, ne les changeant que quand je les avais pour ainsi dire épuisés. Tant que je vivrai, je me souviendrai de certaines heures de l’été que je passais couché sur l’herbe dans une clairière des bois, à l’ombre d’un vieux tronc de pommier sauvage, en lisant la Jérusalem délivrée, et de tant de soirées d’automne ou d’hiver passées à errer sur les collines, déjà couvertes de brouillards et de givre, avec Ossian et Werther pour compagnon ; tantôt, soulevé par l’enthousiasme intérieur qui me dévorait, courant sur les bruyères comme porté par un esprit qui empêchait mes pieds de toucher le sol ; tantôt assis sur une roche grisâtre, le front dans mes mains, écoutant, avec un sentiment qui n’a pas de nom, le souffle aigu et plaintif des bises d’hiver, ou le roulis des lourds nuages qui se brisaient sur les angles de la montagne, ou la voix aérienne de l’alouette, que le vent emportait toute chantante dans son tourbillon, comme ma pensée, plus forte que moi, emportait mon âme.

Ces impressions étaient-elles joie ou tristesse, douleur ou souffrance ? je ne pourrais le dire ; elles participaient de tous les sentiments à la fois. C’était de l’amour et de la religion, des pressentiments de la vie future, délicieux et tristes comme elle, des extases et des découragements, des horizons de lumière et des abîmes de ténèbres, de la joie et des larmes, de l’avenir et du désespoir ! C’était la nature parlant par ses mille voix au cœur encore vierge de l’homme ; mais enfin c’était de la poésie ; Cette poésie, j’essayais quel-