quefois de l’exprimer dans des vers ; mais ces vers, je n’avais personne à qui les faire entendre ; je me les lisais quelques jours à moi-même ; je trouvais avec étonnement, avec douleur, qu’ils ne ressemblaient pas à tous ceux que je lisais dans les recueils ou dans les volumes du jour. Je me disais : on ne voudra pas les lire ; ils paraîtront étranges, bizarres, insensés ; et je les brûlais à peine écrits. J’ai anéanti ainsi des volumes de cette première et vague poésie du cœur, et j’ai bien fait ; car, à cette époque, ils seraient éclos dans le ridicule et morts dans le mépris de tout ce qu’on appelait la littérature.
Ce que j’ai écrit depuis ne valait pas mieux, mais le temps avait changé ; la poésie était revenue en France avec la liberté, avec la pensée, avec la vie morale que nous rendit la Restauration. Il semble que le retour des Bourbons et de la liberté en France donna une inspiration nouvelle, une autre âme à la littérature opprimée ou endormie de ce temps ; et nous vîmes surgir alors une foule de ces noms célèbres dans la poésie ou dans la philosophie qui peuplent encore nos académies, et qui forment le chaînon brillant de la transition des deux époques. Qui m’aurait dit que, quinze ans plus tard, la poésie inonderait l’âme de toute la jeunesse française ; qu’une foule de talents, d’un ordre divers et nouveau, auraient surgi de cette terre morte et froide ; que la presse, multipliée à l’infini, ne suffirait pas à répandre les idées ferventes d’une armée de jeunes écrivains ; que les drames se heurteraient à la porte de tous les théâtres ; que l’âme lyrique et religieuse d’une génération de bardes chrétiens inventerait une nouvelle langue pour révéler des enthousiasmes inconnus ; que la liberté, la foi, la philosophie, la politique, les doctrines les plus antiques comme les plus neuves, lutteraient, à la face du soleil, de génie, de gloire, de talents et d’ardeur, et qu’une vaste et