Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 1.djvu/42

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
40
DES DESTINÉES

Caïphe, la poussière retombait, le désert apparaissait de nouveau, et le pas d’aucun chameau, d’aucun mulet ne retentissait sur les pavés de la route. Seulement, de quart d’heure en quart d’heure, les deux battants ferrés de toutes les portes de Jérusalem s’ouvraient, et nous voyions passer les morts que la peste venait d’achever, et que deux esclaves nus portaient sur un brancard aux tombes répandues tout autour de nous. Quelquefois un long cortége de Turcs, d’Arabes, d’Arméniens, de Juifs, accompagnaient le mort et défilaient en chantant entre les troncs d’oliviers, puis rentraient à pas lents et silencieux dans la ville ; plus souvent les morts étaient seuls, et quand les deux esclaves avaient creusé de quelques palmes le sable ou la terre de la colline et couché le pestiféré dans son dernier lit, ils s’asseyaient sur le tertre même qu’ils venaient d’élever, se partageaient les vêtements du mort, et, allumant leurs longues pipes, ils fumaient en silence et regardaient la fumée de leurs chibouks monter en légères colonnes bleues, et se perdre gracieusement dans l’air limpide, vif et transparent de ces journées d’automne.

À mes pieds, la vallée de Josaphat s°étendait comme un vaste sépulcre ; le Cédron tari la sillonnait d’une déchirure blanchâtre, toute semée de gros cailloux, et les flancs des deux collines qui la cernent étaient tout blancs de tombes et de turbans sculptés, monument banal des Osmanlis ; un peu sur la droite, la colline des Oliviers s’affaissait, et laissait, entre les chaînes éparses des cônes volcaniques des montagnes nues de Jéricho et de Saint-Sabba, l’horizon s’étendre et se prolonger comme une avenue lumineuse entre des cimes de cyprès inégaux ; le regard s’y jetait de lui-même, attiré par l’éclat azuré et plombé de la mer Morte, qui luisait au pied des degrés de ces montagnes, et, derrière, la chaîne bleue des montagnes de