Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 10.djvu/122

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dissements et en huées. La salle elle-même se divise en deux camps, séparés par un large intervalle. Les apostrophes se croisent, les gestes se combattent, on élève et on agite les chapeaux au bout des cannes. « On m’a bien appelé scélérat ! reprend Guadet, et je ne pourrais pas dénoncer un homme qui met sans cesse son orgueil avant la chose publique ! un homme qui, parlant sans cesse de patriotisme, abandonne le poste où il était appelé ! Oui, je vous dénonce un homme qui, soit ambition, soit malheur, est devenu l’idole du peuple ! » Le tumulte est au comble, et couvre la voix de Guadet.

Robespierre réclame lui-même le silence pour son ennemi. « Eh bien, poursuit Guadet effrayé ou attendri par la feinte générosité de Robespierre, je vous dénonce un homme qui, par amour pour la liberté de sa patrie, devrait peut-être s’imposer à lui-même la loi de l’ostracisme : car c’est servir le peuple que de se dérober à son idolâtrie ! » Ces paroles sont étouffées sous des éclats de rire affectés. Robespierre monte avec un calme étudié les marches de la tribune, aux sourires et aux applaudissements des Jacobins. « Ce discours remplit tous mes vœux, dit-il en regardant Brissot et ses amis ; il renferme à lui seul toutes les inculpations qu’accumulent contre moi les ennemis dont je suis entouré. En répondant à M. Guadet, je leur aurai répondu à tous. On m’invite à l’ostracisme : il y aurait sans doute quelque excès de vanité à moi de m’y condamner ; car c’est la punition des grands hommes, et il n’appartient qu’à M. Brissot de les classer. On me reproche d’assiéger sans cesse la tribune. Ah ! que la liberté soit assurée, que l’égalité soit affermie, que les intrigants disparaissent, et vous me verrez aussi empressé de fuir cette tribune et