Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 10.djvu/19

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dans le Palais-Royal, les attroupements se formèrent, Legendre et Fréron les guidèrent ; ils arborèrent le buste du duc d’Orléans avec celui de Necker, les couvrirent d’un crêpe noir et les promenèrent, tête nue, au milieu des citoyens silencieux. Le sang coula, le cadavre d’un des citoyens qui portaient les bustes, tué par la troupe, servit d’étendard au peuple. Le duc d’Orléans fut ainsi mêlé, par son palais, par son nom, par son image, au premier combat et au premier meurtre de la Révolution. C’en fut assez pour que sa main parût faire mouvoir partout les fils des événements. Soit défaut d’audace, soit défaut d’ambition, il ne prit jamais l’attitude du rôle que l’opinion lui assignait. Il ne parut pas alors pousser les choses au delà de la conquête d’une constitution pour son pays et du rôle d’un grand patriote pour lui-même. Il respecta ou il dédaigna le trône. L’un ou l’autre de ces sentiments le grandit aux yeux de l’histoire. Tout le monde était de son parti, excepté lui-même.

Les hommes impartiaux en firent honneur à sa modération, les révolutionnaires en firent honte à son caractère. Mirabeau, qui cherchait un prétendant pour personnifier la révolte, avait eu des entrevues secrètes avec le duc d’Orléans ; il avait tâté son ambition pour juger si elle irait jusqu’au trône. Il s’était retiré mécontent : il avait trahi sa déception par des mots injurieux. Mirabeau avait besoin d’un conspirateur, il n’avait trouvé qu’un patriote. Ce qu’il méprisait dans le duc d’Orléans, ce n’était pas la méditation d’un crime, c’était le refus d’être son complice. Il n’attendait pas tant de scrupules. Il s’en vengea en appelant ce désintéressement du trône la lâcheté d’un ambitieux.