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fants, suivait en désordre une jeune et belle femme, vêtue en homme, un sabre à la main, un fusil sur l’épaule et assise sur un canon traîné par des ouvriers aux bras nus. C’était Théroigne de Méricourt.

On connaissait Santerre, c’était le roi des faubourgs. Saint-Huruge était depuis 89 le grand agitateur du Palais-Royal.

Le marquis de Saint-Huruge, né à Mâcon, d’une famille noble et riche, était un de ces hommes de tumulte qui semblent personnifier en eux les masses. Doué d’une haute stature, d’une figure martiale, sa voix tonnait par-dessus les mugissements de la multitude. Il avait ses agitations, ses fureurs, ses repentirs, quelquefois aussi ses lâchetés. Son âme n’était pas cruelle, mais sa tête n’était pas saine. Trop aristocrate pour être envieux, trop riche pour être spoliateur, trop léger d’esprit pour être fanatique de principes, la Révolution l’entraînait comme le courant entraîne le regard, par le vertige. Il y avait de la démence dans sa vie ; il aimait la révolution en mouvement, parce qu’elle ressemblait à la démence. Jeune encore il avait prostitué son nom, sa fortune, son honneur, au jeu, aux femmes, à la débauche. Il avait au Palais-Royal et dans les quartiers du désordre la célébrité du scandale. Tout le monde le connaissait. Sa famille l’avait fait enfermer à la Bastille. Le 14 juillet l’avait délivré. Il avait juré vengeance, il tenait son serment. Complice volontaire et infatigable de toutes les factions, il s’était offert sans salaire au duc d’Orléans, à Mirabeau, à Danton, à Camille Desmoulins, aux Girondins, à Robespierre : toujours du parti qui voulait aller le plus loin, toujours de l’émeute qui promettait le plus de ruines. Éveillé avant le jour, présent dans tous les clubs, rôdant la