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avec les braves grenadiers et parviennent à faire un peu d’espace autour de Louis XVI. Le roi, qui n’a qu’une pensée, celle d’éloigner le peuple de l’appartement où il a laissé la reine, fait fermer derrière lui la porte de la salle du Conseil. Il entraîne à sa suite la multitude dans le vaste salon de l’Œil-de-Bœuf, sous prétexte que cette pièce, par son étendue, permettra à une plus grande masse de citoyens de le voir et de lui parler. Il y parvient ; entouré d’une foule immense et tumultueuse, il se félicite de se trouver seul exposé aux coups des armes de toute espèce que des milliers de bras agitent sur sa tête. Mais en se retournant il aperçoit sa sœur, Madame Élisabeth, qui lui tend les bras et qui veut s’élancer vers lui.

Elle avait échappé aux efforts des femmes qui retenaient la reine et les enfants dans la chambre à coucher du roi. Elle adorait son frère. Elle voulait mourir sur son cœur. Jeune, d’une beauté angélique, sanctifiée à la cour par la piété de sa vie et par son dévouement passionné au roi, elle avait renoncé à tout amour pour l’unique amour de sa famille. Ses cheveux épars, ses yeux mouillés, ses bras tendus vers le roi, lui donnaient une expression désespérée et sublime. « C’est la reine ! » s’écrient quelques femmes des faubourgs. Ce nom dans un pareil moment était un arrêt de mort. Des forcenés s’élancent vers la sœur du roi les bras levés, ils vont la frapper ; des officiers du palais les détrompent. Le nom vénéré de Madame Élisabeth fait retomber leurs armes. « Ah ! que faites-vous ? s’écrie douloureusement la princesse ; laissez-leur croire que je suis la reine ! En mourant à sa place, je l’aurais peut-être sauvée ! » À ces mots un mouvement irrésistible de la foule écarte violemment Madame Élisabeth de son frère et la jette dans l’em-