Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 10.djvu/443

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huissiers de la chambre, simples serviteurs, tous ceux qu’il rencontrait dans ce palais étaient à ses yeux les complices des crimes de la royauté. Les murs mêmes leur inspiraient haine et vengeance. Ces murs avaient recélé dans leur sein, selon eux, toutes les trames du clergé, de l’aristocratie et des cours, depuis la conjuration de la Saint-Barthélemy jusqu’aux trahisons du comité autrichien et aux décharges perfides de ces satellites étrangers qui venaient d’assassiner le peuple. Ils croyaient laver le sang dans le sang : le sang ruisselait partout ; on ne marchait que sur des cadavres. La mort même ne suffisait pas à la haine. Un ressentiment féroce poursuivait au delà de la vie l’assouvissement de cette rage ; elle dépravait la nature, elle ravalait le peuple au-dessous de la brute, qui frappe, mais qui ne dépèce pas. À peine les victimes étaient-elles tombées sous le fer des Marseillais qu’une horde forcenée, les mains tendues vers sa proie, se précipitait sur les cadavres qu’on lui jetait du haut des balcons, les dépouillait de leurs vêtements, se repaissait de leur nudité, leur arrachait le cœur, en faisait ruisseler le sang comme l’eau de l’éponge, coupait leur tête et étalait d’obscènes trophées aux regards et aux dérisions des mégères de la rue. Personne ne se défendait plus ; le combat n’était qu’un égorgement.

Des bandes armées d’hommes des faubourgs, la pique ou le couteau à la main, se répandaient par les escaliers intérieurs et par les corridors obscurs de cet immense labyrinthe dans tous les étages du château, enfonçant les portes, sondant les planchers, brisant les meubles, jetant les objets d’art ou de luxe par les fenêtres, brisant pour briser, mutilant par haine, ne cherchant point la dépouille, mais la ruine. Dans ce sac général du palais, il y eut dévasta-