Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 10.djvu/60

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dans son génie, comme chez tous les véritables grands hommes. Instruit, lettré, éloquent, il appliquait tous ces dons à l’empire ; ceux qu’il avait vaincus par le courage, il les conquérait par la générosité, il les charmait par sa parole. Ses défauts étaient le faste et la volupté ; il assaisonnait la gloire de ces plaisirs et de ces amours qu’on accuse et qu’on pardonne dans les héros ; il avait les vices d’Alexandre, de César et de Henri IV. Il ne lui manqua, pour ressembler à ces grands hommes, que leur fortune.

Presque enfant, il s’était arraché à la tutelle de l’aristocratie ; en émancipant le trône, il avait émancipé le peuple. À la tête d’une armée recrutée sans trésors et qu’il disciplina par l’enthousiasme, il envahit la Finlande russe, et menaça Saint-Pétersbourg. Arrêté dans ses progrès par une insurrection de ses officiers, enfermé dans sa tente par ses gardes, il leur avait échappé par la fuite, il avait couru au secours d’une autre partie de son royaume envahi par les Danois. Vainqueur de ces ennemis acharnés de la Suède, la reconnaissance de la nation lui avait rendu son armée repentante ; il ne s’était vengé qu’en lui ramenant la fortune.

Il avait tout sauvé au dehors, tout pacifié au dedans ; désintéressé de tout, excepté de la gloire, il n’avait plus qu’une ambition : venger la cause abandonnée de Louis XVI, et arracher à ses persécuteurs une reine qu’il adorait de loin. Ce rêve même était d’un héros ; il n’eut qu’un tort : son génie fut plus vaste que son empire ; l’héroïsme disproportionné aux moyens fait ressembler le grand homme à l’aventurier et transforme les grands desseins en chimères. Mais l’histoire ne juge pas comme la fortune : c’est le cœur plus que le succès qui fait le héros ; ce caractère roma-