Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/101

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Oh ! dis-moi, redis-moi, quel lait bois-tu là-bas ?
Quelle mère en chantant te berce sur ses bras ?
De quel nom, mon Adda, plus doux te nomme-t-elle !
Dis-le-moi, pour qu’aussi de deux noms je t’appelle,
Pour qu’en venant la nuit parler à ton gazon,
Ton âme se réveille et réponde à ton nom !
Enfant, as-tu grandi sous l’herbe où tu reposes ?
Les enfants de la mort te tressent-ils des roses ?
Des grains rouges des bois te font-ils un collier ?
Il me semble parfois que je t’entends crier.
J’ouvre mes bras la nuit, ma fille, pour te prendre !
Car l’époux de mon cœur, hélas ! a beau suspendre
Tes frères à mon cou pour m’y faire penser,
De mes yeux, de mon âme il ne peut t’effacer ;
Je suis l’oiseau plaintif à l’aile bleue et blanche
Dont le courant du fleuve, en secouant la branche,
A fait tomber du nid et rouler dans les flots
Un petit, le premier de la couvée éclos :
Il a beau réchauffer les autres dans sa plume,
Du seul qu’il a perdu le souci le consume,
Et tout le jour il crie et regarde dans l’eau
Et porte sa becquée à son petit oiseau. »

Ainsi parlaient aux morts les hommes et les femmes,
En couvrant leurs gazons de présents pour leurs âmes.
Leurs pas, se détachant lentement de ces lieux,
Semblaient s’enraciner à ce sol des aïeux.
Tant peut sur les humains la mémoire chérie !
C’est la cendre des morts qui créa la patrie.