Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/103

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Et ses jours s’écoulaient l’un à l’autre pareils,
Et quelques vieillards seuls en comptaient les soleils.

Les esclaves, la nuit, liés au tronc d’un hêtre,
Faisaient paître, le jour, les troupeaux de leur maître,
Et, de peur des lions, les rassemblant en un,
Passaient leur dure vie à pleurer en commun :
Les uns se racontaient à quel vil prix vendue,
Leur liberté natale avait été perdue ;
D’autres se souvenaient comment, leur père mort,
Leur mère en servitude était tombée au sort,
Et, captive au milieu des brebis et des chèvres,
D’un lait aigri de pleurs avait nourri leurs lèvres.
Ceux-là montraient du doigt sur leurs membres flétris
Les sillons noirs du fouet qui les avait meurtris ;
Ceux-ci leurs bras liés, et dont la ligature
Dans les veines avait tari la nourriture ;
Et, s’épiant l’un l’autre afin de se trahir,
Ne conservaient d’humain que le cœur pour haïr !
Tous regardaient Cédar avec un œil d’envie,
Et de son infortune ils consolaient leur vie.

Lui pourtant, sans parole et ne comprenant pas,
Fuyait d’instinct les lieux que fréquentaient leurs pas,
Et, guidant ses chameaux aux plateaux les plus rudes,
Ne hantait que les monts et que les solitudes,
Sans crainte des lions dont d’autres s’effrayaient ;
Car à son seul aspect les lions s’enfuyaient.