Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Son âme à son insu dans sa forme divine
Rappelait par ses traits sa céleste origine ;
Dans ce corps garrotté d’un esclave avili,
Quelque chose du ciel avait gardé le pli ;
Son regard calme et doux avait pourtant des flammes
Dont les éclairs voilés faisaient rêver les femmes.
Comme pour se venger de leur stupide affront,
Il dépassait déjà tous les hommes du front.
Tel qu’un aiglon captif de l’enfant qui le brave,
Même en l’humiliant ils admiraient l’esclave ;
Timides et jaloux, ils fuyaient son aspect ;
Leurs regards s’abaissaient de honte et de respect ;
Daïdha seule osait lui commander du geste ;
Il ne regardait qu’elle, il méprisait le reste ;
Il lisait dans ses yeux le regard commencé,
Elle était obéie avant d’avoir pensé.
Ainsi le fier taureau qu’une main d’enfant mène
Obéit à l’amour, et suit ses pas sans chaîne !

Cependant Daïdha sentait avec orgueil
L’empire qu’exerçaient sa voix et son coup d’œil,
Et, fière d’adoucir seule ce cœur sauvage,
Se faisait un bonheur de ce noble esclavage.
Elle lui commandait devant eux quelquefois,
Seulement pour montrer ce que pouvait sa voix ;
Et Selma rougissait de gloire pour sa fille,
Et Phayr triomphait de voir dans sa famille
Cet esclave muet, sa force et son honneur ;
Et la foule envieuse admirait son bonheur.