Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/119

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Et Cédar, bondissant comme un taureau superbe
Dont le joug détaché roule à ses pieds sur l’herbe,
S’élançait dans sa grâce et dans sa liberté ;
Sur ses membres meurtris par la captivité
Effaçait, sous ses mains, la trace encore empreinte ;
Écrasait des palmiers dans sa joyeuse étreinte ;
Dans le fleuve, à grands cris, se jetait en courant,
Luttait contre la vague et contre le courant,
En ressortait couvert d’une fumante écume,
Aspirait l’air du ciel comme un coursier qui hume,
Et franchissant d’un bond les ravins, les sommets,
Semblait dans les déserts disparaître à jamais !
Daïdha, frissonnant de sa fuite imprévue,
Tendait vers lui ses bras, et le perdait de vue,
Quand, d’un pied plus rapide et plus souple qu’un daim,
Auprès d’elle à ses pieds il revenait soudain.
Et lui, posant ses doigts sur sa tête brûlante :
« Pourquoi, lui disait-il, es-tu toute tremblante ?
As-tu peur que je reste aux forêts où je cours ?
Que ton esclave échappe et parte pour toujours ?
Veux-tu pour te calmer me remettre ma chaîne ?
Tiens. Mais ce n’est pas elle, ô ma sœur, qui m’enchaîne :
Va, je n’ai pas besoin de ce honteux lien ;
Ma chaîne, ô Daïdha ! c’est ton œil sur le mien,
C’est le son de ta voix qui m’appelle sans cesse,
C’est le frisson brûlant que ton baiser me laisse,
C’est l’heure si pesante où j’attends ton retour,
Et l’image de toi qui me luit tout le jour !
Voilà le joug du cœur que je porte et que j’aime,
Que tu ne pourrais pas, enfant, briser toi-même,