Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/160

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Quand, plus prompte que l’œil qui suit une pensée,
Du sommet d’un rocher une femme élancée
Dans le courant profond plonge deux fois soudain,
Et revient chaque fois un enfant à la main.
« Daïdha !!! » s’écria la foule… C’était elle,
Qui, sous l’horrible poids d’une angoisse mortelle,
Au bruit de ce forfait, par son cœur entendu,
Était sortie au jour à ses pas défendu,
Et non loin de Zebdor, par un arbre cachée,
À chaque mot de lui l’âme au corps arrachée,
L’avait vu repousser ses enfants dans le flot,
Et s’était dans le gouffre élancée aussitôt.

Elle en sortit soudain, par le peuple escortée,
Sur la rive où de l’eau le cours l’avait portée ;
Et couvrant de baisers, à genoux, sur le bord,
Ses enfants, du regard disputés à la mort,
Elle leur réchauffait le corps de son haleine,
Comme une brebis chauffe un agneau sous sa laine ;
Et les faisant sourire elle leur souriait,
Et de ses longs cheveux elle les essuyait.
Puis voyant tout à coup la foule rassemblée,
Et comme du néant au monde rappelée,
Elle jeta du cœur un si terrible cri,
Que chaque cœur de mère en fut tout attendri ;
Et levant ses jumeaux au-dessus de sa tête,
Comme on élève un signe au peuple qui s’arrête,
Ou comme on montre au ciel un sang qui fume encor,
En adjurant la foule, au-devant de Zebdor