Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/159

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Et si vous n’allez pas réchauffer d’un baiser
La tête du géant qui doit vous écraser ? »
Puis, les chassant du geste, et s’adressant aux hommes :
« Dieux, parlez-nous, dit-il, dans le doute où nous sommes !
Des brutes du désert, ces, enfants, vil rebut,
Sont-ils pour notre perte ou pour notre salut ?
Où les ai-je trouvés ? Sous les pieds de l’esclave,
D’un ennemi captif qui nous hait, qui nous brave !
D’où les a-t-il reçus ? des démons ? ou des dieux ?
Pourquoi les cachait-il sous l’herbe à tous les yeux ?
Pourquoi nourrissait-il leur venimeuse engeance ?
Est-ce pour notre perte, ou bien pour sa vengeance ?
N’est-ce pas des géants quelque germe conçu,
Qui devait sous ses yeux grandir à notre insu,
Pour égorger un jour la tribu tout entière ?
Non ! qu’ils meurent avant, écrasés sur la pierre ;
Que l’Oronte pour lait leur prodigue son eau !
Noyons nos ennemis jusque dans leur berceau !
— Oui, qu’ils meurent ! criait d’un même instinct la foule.
— Que tout mal loin de nous avec leurs corps s’écoule !
Des femmes sur nos fronts retombe la pitié ! »
Et Zebdor, à ces cris, poussant avec le pié
Le berceau, les enfants dans le courant de l’onde,
Comme on balaye au fleuve un nid de bête immonde,
De la vague à l’instant l’acanthe se remplit,
Et le couple dormant s’enfonça dans son lit.
On n’entendit qu’un cri de mille voix émues
Éclater de la foule et voler jusqu’aux nues.
On voyait mille bras tendus suivre du doigt
Le berceau disparu dans le fatal endroit,