Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/176

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Mais, plus fort que son bras inhabile à ramer,
Le rapide courant le portait à la mer.
Il entendait déjà du fleuve qui s’écoule
Les flots tumultueux lutter avec la houle ;
Déjà les bords lointains échappaient à son œil,
Quand le courant brisé sur l’invincible écueil,
Que le reflux des mers contre son lit repousse,
Sur le sable des flots le jeta sans secousse.
Il resta quelque temps immobile, engourdi,
Tel qu’un homme d’un coup de massue étourdi,
Rappelant fil à fil chaque image effacée,
Et comme un fer au sein retrouvant sa pensée.
Il dénoua des dents le reste du lien
Qui l’attachait encore au palmier, son soutien ;
Tantôt marchant dans l’onde, et tantôt à la nage,
Il regagna bientôt les forêts du rivage.
Sous l’instinct de l’amour son pied n’hésite pas,
Au rebours du courant il s’élance à grands pas.
Il lui semble de loin entendre dans son âme
Les cris de deux enfants et des sanglots de femme.
Du sort de Daïdha l’affreux pressentiment
Ne laisse pas son pied s’arrêter un moment ;
Comme un homme éperdu qu’un cri de mort appelle,
Il court deux jours entiers les bras tendus vers elle ;
Enfin, par la vengeance et par l’amour conduit,
C’était lui qui montait à tâtons dans la nuit.
Il avait reconnu le camp, dans les ténèbres,
Aux aboîments des chiens poussant des voix funèbres ;
Il avait amorti ses pas pour les tromper,
Et, son arbre à la main, écoutait pour frapper.