Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/177

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sur le fond noir du ciel la tour muette et sombre,
Avant qu’il l’aperçut, jetait sur lui son ombre.
Ses enfants sur son sein venant de s’assoupir,
Daïdha touchait presque à son dernier soupir ;
Du sommeil de la mort les délirants mirages
À ses sens affaiblis coloraient des images :
Voiles que la nature, avec ses douces mains,
Met pour cacher la mort sur les yeux des humains.
Elle voyait couler des fleuves d’eaux limpides
Dont les vagues montaient à ses lèvres avides ;
Des mille fleurs des champs qui croissent sous le ciel,
Les ruches en rayons lui distillaient leur miel ;
Cédar, pour ses petits jouant parmi les herbes,
Lui cassait les rameaux chargés de fruits superbes.
Vers ces fruits qu’il tend elle avançait la main,
Quand ses petits enfants crièrent de la faim.
« Ah ! dit-elle en frappant sa mamelle tarie,
La nature est donc sourde à la bouche qui crie !
Ô ciel ! avant leur soif mon sein a pu tarir !
Ah ! mourir la dernière, ah ! c’est cent fois mourir !
Enfants, frappez ce sein barbare qui vous sèvre ;
À défaut de mon sein, collez-vous à ma lèvre !
Dans mon dernier soupir, image de l’époux,
Buvez toute mon âme, elle se verse en vous !
Que ta mort, ô Cédar ! fut plus digne d’envie !
Toi, tu n’as pas rendu trois souffles dans ta vie !
Reçois-les, cher époux, ils s’exhalent vers toi :
Ouvre ton sein, c’est eux ! ferme tes bras, c’est moi !!! »
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·