Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/214

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» Loin du ciel qui nous luit, des déserts où nous sommes,
Il est sous le soleil une autre race d’hommes,
Qui s’est multipliée autant que les essaims
Que les ruches du chêne épanchent de leurs seins.
Dans ces grandes tribus qui débordent des plaines,
La terre disparaît sous ces vagues humaines ;
Les antres des rochers autrefois habités
Ne leur suffisent plus ; mais d’immenses cités,
De grands blocs arrachés aux montagnes, bâties
Pour les contenir tous, de terre sont sorties.
Le marbre, le granit, d’éblouissants métaux,
Fondus dans la fournaise ou taillés aux marteaux,
Que la terre à vos yeux cache dans ses entrailles,
Couvrent leur ciel de bronze ou forment leurs murailles.
En contemplant de loin ces immenses contours,
Où montent à l’envi les dômes et les tours,
On croit voir s’élever au milieu des campagnes,
De fer, d’argent et d’or d’éclatantes montagnes.
Comme un large incendie, en les frappant d’aplomb
Le soleil resplendit sur cette mer de plomb,
Et l’haleine des feux qui sort des toits sans nombre
Couvre un grand pan du ciel d’une atmosphère sombre.
Le bruit dans les remparts ne peut se renfermer :
On entend ces cités mugir comme une mer,
Et ce bruit formidable effraye au loin la terre
Plus qu’un rugissement de tigre ou de panthère !
La respiration s’arrête en l’écoutant ;
On sent que l’on n’est rien, devant ce bruit montant,
Qu’un brin d’herbe emporté dans le mont qui le roule,
Ou qu’un sable des mers englouti sous la houle !