Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/221

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De leur peur, de leur geste, il aperçut la trace :
« Oui, je suis né, dit-il, de cette infâme race,
Oui, mes pieds ont trempé dans ces iniquités ;
Mais j’en ai secoué la souillure : écoutez.


» Dans les murs de Balbek je reçus la naissance ;
La mère qui donna le lait à mon enfance,
Captive et détestant cet odieux séjour,
D’une tribu nomade avait reçu le jour ;
Les souverains des dieux se disputaient ses charmes.
Mais elle me mêlait le lait avec les larmes ;
Car au sein des grandeurs dont s’offensaient ses yeux
Elle se souvenait des tentes des aïeux,
Elle se souvenait du saint Dieu de sa terre,
Et son cœur s’abstenait de tout culte adultère.
Quand, suivant de ces lieux l’abominable loi,
On m’arracha du sein coulant encor pour moi,
De peur qu’un jour le fils ne reconnût la mère,
À son cœur déchiré cette heure fut amère ;
Aux pieds de ses bourreaux elle alla se jeter,
Demandant quelques jours de plus pour m’allaiter.
Pendant ces jours comptés par l’avare indulgence,
Cachant son crime saint à l’œil de la vengeance,
Elle me déchira de son ongle sanglant,
En pleurant à mes cris, la peau de mon sein blanc,
Et du sang qui coulait figé de la blessure,
Comme la dent du tigre imprime sa morsure,
Elle écrivit un nom, le saint nom de son Dieu !
Puis avec moins de pleurs elle me dit adieu,