Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/268

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L’abîme où par la mer les roches inondées
Se blanchissaient d’écume à plus de cent coudées,
Et dont le seul aspect au regard fasciné
Faisait tourner l’esprit dans le front incliné,
Ils passent une corde autour de sa ceinture ;
À la crête d’un roc de bizarre structure,
Comme le câble au mât, l’attachent par le bout ;
Et sur le bord glissant se tenant tous debout,
Ils repoussent du pied le corps, qui se balance
Sur le vide sans rive où la corde le lance.
Le câble, que le corps fait vibrer sous son poids,
Vient heurter le vieillard aux angles des parois,
Et du cap mugissant l’éternelle tempête
Froisse contre le roc ses membres et sa tête.
Ils laissent mesurer longtemps au saint vieillard
La mer, la profondeur, mille morts d’un regard.
Ils contemplent ses mains, par l’horreur écartées,
Saisir des rocs aigus les dents ensanglantées,
L’instinct vital crisper ses vieux membres tremblants,
Et de son pâle front pendre ses cheveux blancs ;
Puis, quand leur cruauté pense que la torture
A surmonté l’esprit et vaincu la nature,
Son glaive dans la main un d’entre eux, se penchant,
De la corde qui vibre approche le tranchant,
Y plonge lentement la moitié de la lame :
« Adonaï, dit-il, à ce fer tient ton âme !
Sur le gouffre et la mort d’un fil je te suspends !
Ta vie est dans un mot : dis que tu te repens,
Dis que nos dieux sont dieux, que le tien est un rêve,
Ou j’enfonce à l’instant l’autre moitié du glaive ! »