Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/277

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Le bruit intermittent d’un million d’haleines
Dont les vagues de l’air sont sonores et pleines,
Lorsqu’une ruche humaine, avant de s’endormir,
Des passions du jour semble encore frémir.
Tel s’élevait du sein de la ville lointaine
Le bruit qu’interrogeait leur oreille incertaine :
Pas d’un peuple nombreux sous qui le sol gémit,
Coups sonores du fer sur l’airain qui frémit,
Roulement éternel des chars dans la carrière,
Cours du fleuve encaissé dans ses marges de pierre,
Grands orchestres jetant dans l’air mélodieux
En métalliques voix les ivresses des dieux,
Monotone soupir de la faim qui mendie,
Appels retentissants au meurtre, à l’incendie,
S’élevant confondus dans le calme des airs,
Ne formaient qu’un seul son de tous ces sons divers.
Déchirements de voix, vastes éclats de rire ;
Puis, du sein d’un silence où toute voix expire,
Comme au bord de la mer quand le vent calme et sourd
Pousse à l’écueil grondant un flot égal et lourd,
Une neuvième vague, amoncelée en poudre,
Éclate sur l’écueil avec un bruit de foudre,
Une immense clameur s’élançant de la nuit
Montait du peuple entier en tempête de bruit,
Et, faisant trembler l’air dans l’atmosphère émue,
Asphyxiait l’oiseau qui volait dans la nue.
À cette grande voix de ce monde nouveau,
L’esprit des deux amants tournait dans leur cerveau,
Et leur cœur tout tremblant, que la terreur resserre,
Sentait le contre-coup des clameurs de la terre ;