Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/292

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

  
Et, quand toute leur veine a coulé de leur sein,
Les froids exécuteurs de son secret dessein,
Dans la mare de pourpre où leurs larges pieds glissent,
Prenant les corps sanglants, sans que leurs fronts pâlissent,
L’un par les longs cheveux et l’autre par les piés,
Comme on lance une roche aux gouffres effrayés,
Du gigantesque effort que l’élan leur imprime
Par-dessus les créneaux les jettent dans l’abîme…
Du faîte de la tour, qui leur brise le front,
On voit s’entre-choquer les membres et le tronc.

« Maintenant, dit Nemphed, qu’ils parlent à la terre !…
La mort seule et la nuit connaîtront ce mystère.
Célestes confidents de mon sacré pouvoir,
Qui pouvez seuls ici tout entendre et tout voir,
Que ces secrets divins meurent dans vos pensées
Par l’empire des cieux déjà récompensées !
Nos fourbes ont conquis ce pouvoir incertain,
Que la nuit rarement transmet jusqu’au matin
Par nos complicités habilement tramées,
Sur les âmes des dieux soumises ou charmées
— Prolongeons à jamais ce suprême ascendant !
De leurs séditions calmons le flot grondant !
Le trône veut sans fin qu’on trompe ou qu’on opprime :
Malheur à qui s’arrête un seul jour dans le crime !
Un plus hardi l’atteint aux périlleux sommets.
Que nos forfaits unis ne sommeillent jamais,
Et que la tyrannie d’en haut jamais ne s’use :
Le prestige des forts, c’est le crime et la ruse !