Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/328

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» En endormant ainsi leurs désirs assouvis,
J’achète d’un forfait chaque heure que je vis :
Mais leur instinct de sang, leur soif de tyrannie,
À la fin, je l’avoue, épuisent mon génie ;
Ils ont plus de désirs que leur cœur de forfait.
S’ils s’éveillent un jour, du repos c’en est fait !
Si d’espoir en espoir et d’orgie en orgie
Je cessais d’enchaîner leur brutale énergie,
Mon trône sous leurs pieds croulerait en débris.
Déjà de ma grandeur ils marchandent le prix ;
Déjà, sous le respect masquant leur insolence,
De sourdes factions trament dans leur silence.
Des coups d’œil, des sourcils, d’obscurs chuchotements,
D’un pouvoir qui s’ébranle intimes craquements,
M’indiquent qu’il est temps, sous cette onde dormante,
De remuer du doigt la vase qui fermente,
Si je ne veux laisser le miasme mortel
S’échapper pour ma perte et gronder sur l’autel !


» Asrafiel, lui surtout, m’inquiète et m’ombrage !
Je ne sais quel dégoût obscurcit son visage…
Les dieux inférieurs tremblent tous devant lui
Il serait mon vainqueur s’il n’était mon appui.
Contre ses attentats son vice me protége ;
Son imbécillité se prend vite à tout piége,
Pourvu que des soupirs l’y fassent trébucher ;
Par un nouvel appât tâchons de l’allécher :
Aux mains de la beauté mettons sur lui les rênes,
Jetons pour l’enflammer ce charbon dans ses veines ;