Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/329

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Il ne tentera rien tant qu’il espérera,
De ce poison subtil tant qu’il s’enivrera.
Vil marchepied du trône où sa mollesse aspire,
Que ce chien ronge un os, il oublie un empire !… »

Ainsi de sa grandeur Nemphed cuvait le fiel.
Puis d’un regard oblique effleurant Asrafiel,
Et feignant l’abandon d’une demi-pensée
Dans des âmes d’amis négligemment versée :
« Soutiens de mon pouvoir, dit-il à haute voix,
Esclaves d’un seul maître, oui, mais esclaves rois !
Le peuple, qu’agitait la voix de son prophète,
Va ramper quelque temps comme un serpent sans tête
Qui fait frémir encor la poudre du sillon,
Mais qui remue en vain et n’a plus d’aiguillon.
Le cœur de tout ce peuple était dans sa poitrine ;
Son venin dans leur sang meurt avec sa doctrine.
Nous allons de leur sein, du coup déconcerté,
Extirper et jeter au vent la liberté,
Et d’une égalité criminelle, insensée,
Jusqu’en son germe impie étouffer la pensée !
Mais le germe infernal implanté dans le cœur
Du pied qui l’écrasa renaît toujours vainqueur.
Pour l’arracher de là nos tortures sont vaines ;
On dirait que le sang le roule dans les veines ;
Il n’est à ce venin qu’un seul contre-poison :
C’est l’abrutissement de l’humaine raison ;
C’est l’éblouissement de ces races esclaves
Qui leur fait à genoux adorer leurs entraves :