Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/379

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Son regard fixe et froid s’attachait au visage
Comme un œil qui voit tout à travers un nuage.
Ses lèvres, qu’agitait un vif tressaillement,
Des paroles sans sons avaient le mouvement.
À l’ombre de Lakmi, sous son regard venue,
Son œil interrogeait la figure inconnue,
Et Lakmi, prolongeant son angoisse à dessein,
Entendait son cœur battre et bondir dans son sein.

Enfin d’un faux accent couvrant sa joie amère :
« Pauvre femme, dit-elle, hélas ! et pauvre mère !… »
Sans distinguer des mots l’accent double et moqueur,
À ces mots Daïdha sentit fondre son cœur.
Elle tendit les bras vers la fourbe cruelle :
« Oh ! vous me plaignez donc, vous du moins ! cria-t-elle ;
Vous avez donc une âme, une bouche, une voix !
Vous n’êtes pas de fer comme ceux que je vois,
Vous ne garderez pas cet odieux silence !
Oh ! oui, tant de beauté, de candeur et d’enfance,
Ne peut servir de masque à des projets hideux.
Que font-ils ? où sont-ils ? oh ! vous, parlez-moi d’eux !
Cédar !… mes deux agneaux ?… Eux ?… lui ? quelle mamelle
Leur distille le lait ?… N’est-ce pas qu’il m’appelle ?…
N’est-ce pas qu’ils sont beaux ?… Ah ! parlez à la fois,
Parlez-moi d’eux… de lui ! » L’ardeur coupa sa voix,
Elle colla sa bouche aux mains de sa rivale.
Lakmi d’émotion mordit sa lèvre pâle :
« Pauvre femme ! dit-elle, oh ! oui, je les ai vus,
Lui, des géants esclave ! eux, altérés et nus !