Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/423

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L’horizon décroissant s’affaissa sous leurs yeux :
Ils ne voyaient au loin que la poudre et les cieux.
Leur route, serpentant de l’abîme au nuage,
D’un vaisseau qui talonne imitait le tangage ;
Le gouffre, dont à peine on les voyait sortir,
Ne les rendait au jour que pour les engloutir ;
Ils levaient un moment au sommet de ces lames
Leurs deux fronts que le jour colorait de ses flammes,
Comme l’on voit surgir et plonger tour à tour
La voile des pêcheurs teinte des feux du jour.
Le vent qui fraîchissait, soufflant à leur figure,
Ballottait de Cédar la noire chevelure,
Et la faisait fouetter et claquer sur son dos
Avec un bruit pareil au claquement des flots.

Depuis que leurs regards avaient perdu la terre,
De leurs impressions symptôme involontaire,
Ils marchaient en silence et n’osaient échanger
Une pensée entre eux, trop pleins de leur danger :
Soit que la majesté de ce roulant abîme
Imprimât à leur lèvre une terreur intime ;
Soit que de leur péril le secret sentiment
Accumulât sa force en ce grave moment.
Comme une caravane aux défilés entrée,
Aucun son ne troublait leur marche mesurée ;
Le pied sourd du chameau ne retentissait pas :
Le sable absorbait tout, jusqu’au bruit de leurs pas.
Seulement, par instants, sous leur corps qui chancelle,
Il leur semblait entendre un bruit d’eau qui ruisselle.