Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/5

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route sans terme, c’est le lot de tout philosophe et de tout artiste. Les forces, les années, les loisirs manquent. Les jours de poëte sont courts, même dans les plus longues vies d’homme. La poésie n’est que ce qui déborde du calice humain. On ne vit pas d’ivresse et d’extase, et ceux qui commandent à un poëte d’être toujours poëte ressemblent à ce calife qui commanda à ses esclaves de le faire vivre de musique et de parfums : il mourut de volupté et d’inanition.

Je sais qu’on me reproche avec une bienveillante colère de ne pas consacrer ma vie entière à écrire, et surtout à polir des vers, dont je n’ai jamais fait ni prétendu faire qu’une consolation rare et accidentelle de ma pensée. Je n’ai rien à répondre, si ce n’est que chacun a reçu sa mission de sa nature. Je porte envie à ces natures contemplatives à qui Dieu n’a donné que des ailes, et qui peuvent planer toujours dans les régions éthérées, portées sur leurs rêves immortels, sans ressentir le contre-coup des choses d’ici-bas, qui tremblent sous nos pieds. Ce ne sont plus là des hommes, ce sont des êtres privilégiés qui n’ont de l’humanité que les sens qui jouissent, qui chantent ou qui prient : ce sont les solitaires ascétiques de la pensée. Gloire, paix et honneur à eux ! Mais ces natures ont-elles bien leur place dans notre temps ? l’époque n’est-elle pas essentiellement laborieuse ? tout le monde n’a t-il pas besoin de tout le monde ? ne s’opère-t-il pas une triple transformation dans le monde des idées, dans le monde de la politique, dans le monde de l’art ? L’esprit humain, plus plein que jamais de l’esprit de Dieu qui le remue, n’est-il pas en travail de quelque grand enfantement religieux ? Qui en doute ? c’est