Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/65

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C’était une superbe et vile créature,
Ayant gardé sa forme et perdu sa nature :
Comme on en voit encor sur la terre aujourd’hui,
Hommes d’os et de sang où jamais Dieu n’a lui !


Un arc retentissant de corne épaisse et noire
Résonnait sur son dos contre un carquois d’ivoire ;
Trois flèches y plongeaient dans leurs tuyaux d’airain.
Il tenait devant lui sa torche d’une main,
Et de l’autre il portait une énorme massue.
Des plis d’un lourd filet la maille en fer tissue
Pendait de son épaule et semblait en glisser
Comme un piége fermé qu’un pêcheur va lancer.
Il marchait hésitant de clairière en clairière,
Jetant un œil furtif en avant, en arrière,
Étouffant sur le sol le bruit sourd de ses pas,
S’arrêtant quelquefois et se parlant tout bas :
« Les hommes ! disait-il, ô détestables races !
Je ne me trompais pas ; enfin voilà leurs traces :
Mes compagnons et moi, sans les trouver jamais,
Depuis neuf longues nuits nous fouillons ces sommets ;
Jamais chasseur n’osa monter jusqu’où nous sommes.
Exécrable métier que d’être chasseur d’hommes !
Mieux vaut cent fois traquer les lions des déserts,
Le mammouth dans ses joncs, ou l’aigle dans les airs !
Mais aussi quel plaisir quand on tient dans sa serre,
Prises au même nid, les filles et la mère !
Mais aussi dans Balbek on nous paye un enfant
Plus cher que le lion, le tigre et l’éléphant !