Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/78

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Et que dans un premier et long étonnement,
Inconnu de lui-même, il doutait un moment.
Sa chute avait brisé les fils de ses pensées,
Dans son âme nouvelle éparses, effacées ;
Mais l’élan qui l’avait précipité du ciel
Bouleversait encor son cœur matériel.
Sans savoir d’où venait l’instinct involontaire,
L’amour conçu là-haut le suivait sur la terre.
Tel, au fond du sépulcre où son visage dort,
L’homme atteint par la foudre et frappé de la mort,
Du dernier sentiment où l’âme s’est éteinte
Garde encor sur ses traits l’ineffaçable empreinte.

En voyant cette enfant d’ineffable beauté
Battre de son sein nu le sol ensanglanté,
Et ces hommes, riant d’une stupide joie,
Qui se baissaient déjà pour emporter leur proie ;
Sans rempart que son cœur, sans armes que sa main,
De l’ombre qui le cache il s’élance soudain,
Entre eux et Daïdha fond comme la tempête :
Faisant comme un bélier un levier de sa tête,
Au creux de la poitrine il en frappe d’un bond
Le premier des géants ; sous le choc de son front,
Des poumons écrasés la cavité sonore
Gémit comme un tronc creux d’if ou de sycomore.
L’haleine qu’il cherchait manque au sein du chasseur ;
Sa masse en chancelant fléchit de sa hauteur,
Perd l’équilibre et tombe, et, roulant en arrière,
De ses yeux convulsifs cherche en vain la lumière.