Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 16.djvu/84

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Leur parole écoutée était les seules lois :
On respectait le temps qui parlait par leurs voix,
Mais à leur tribu seule ils devaient la justice ;
L’ignorance livrait le reste à leur caprice :
Tout ce qui n’était pas du sang de leurs aïeux,
Profane, n’avait plus titre d’homme à leurs yeux.
Ennemis éternels des races étrangères,
Leur brutale équité se bornait à leurs frères :
Pareils dans leur démence aux peuples d’aujourd’hui,
Bornant leur univers où leur soleil a lui,
Dépouillant de leurs droits des nations entières,
Et pensant que de Dieu l’amour a des frontières,
Quand ils les surprenaient, ils livraient sans remord
La mère à l’esclavage et le père à la mort ;
Et les enfants, proscrits même avant que de naître,
Croissaient dans la tribu pour y servir un maître.
Mais au-dessus des chefs, le vent des passions
Déchaînait quelquefois le feu des factions :
Pour le choix des troupeaux, des butins, des épouses,
La colère excitait des tempêtes jalouses ;
Divisant la famille en partis inhumains,
Le pouvoir indécis flottait de mains en mains,
Jusqu’à ce que d’un chef l’heureuse tyrannie
Asservît à son tour sa race à son génie.
Ainsi vivait errante aux sommets du Sannyr
La sauvage tribu, famille de Phayr.

Phayr avait vécu presque l’âge des chênes
Sans avoir jamais vu les merveilles humaines