Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 2.djvu/182

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

du 16, j’avais eu soin de retirer les pistolets et le stylet, qui, jusque-là, étaient restés à côté de son lit la nuit. Le 18, il m’adressa souvent la parole ; il paraissait mécontent du traitement qu’avaient suivi les médecins. Je lui demandai alors de me permettre d’envoyer chercher le docteur Thomas. — Envoyez-le chercher ; mais dépêchez-vous : je suis fâché de ne pas vous l’avoir laissé envoyer chercher plus tôt.

» Je ne perdis pas un moment à exécuter ses ordres et à en faire part au docteur Bruno et à M. Millingen, qui me dirent que j’avais très-bien fait, parce qu’ils commençaient eux-mêmes à être très-inquiets. Quand je rentrai dans la chambre de milord : Avez-vous envoyé ? me dit-il. — Oui, milord. — Vous avez bien fait : je désire savoir ce que j’ai. Quoiqu’il ne parût pas se croire si près de sa fin, je m’aperçus qu’il s’affaiblissait d’heure en heure, et qu’il commençait à avoir des accès de délire. Il me dit à la fin d’un de ces accès : Je commence à croire que je suis sérieusement malade ; et si je mourais subitement, je désire vous donner quelques instructions, que j’espère que vous aurez soin de faire exécuter. Je l’assurai de ma fidélité à exécuter ses volontés, et ajoutai que j’espérais qu’il vivrait assez longtemps pour les faire exécuter lui-même. À quoi il répondit : Non, ç’en est fait ; il faut tout vous dire sans perdre un moment. — Irai-je, milord, chercher une plume, de l’encre et du papier ? — Oh ! mon Dieu ! non, vous perdriez trop de temps, et je n’en ai point à perdre. Faites bien attention, me dit-il.

» Votre sort est assuré, Fletcher. — Je vous supplie, milord, de songer à des choses plus importantes. — Ô mon enfant ! dit-il ; ô ma chère fille, ma chère Adda ! Oh ! mon Dieu, si j’avais pu la voir ! Donnez-lui ma bénédiction ; donnez-la à ma chère sœur Augusta et à ses enfants. Vous irez chez lady Byron ; dites-lui, dites-lui tout. Vous êtes bien dans son esprit.

» Milord paraissait profondément affecté en ce moment : la voix lui manqua ; je ne pouvais attraper que des mots par intervalles ; mais il parlait entre ses dents, paraissait très-grave, et élevait souvent la voix pour dire : Fletcher, si vous n’exécutez pas les ordres que je vous ai donnés, je vous tourmenterai, s’il est possible. Je lui dis : Milord, je n’ai pas entendu un mot de ce que vous avez dit. — Ô Dieu ! s’écria-t-il, tout est fini ! Il est trop tard maintenant. Est-il possible que vous ne m’ayez