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jours, qu’une petite quantité de bouillon en deux ou trois fois, et deux cuillerées d’arrow-root le 18, la veille de sa mort. La première fois que l’on parla de le saigner fut le 15. Quand le docteur Bruno le proposa, mon maître s’y opposa d’abord, et demanda à M. Millingen s’il avait de fortes raisons pour lui tirer du sang. La réponse fut qu’une saignée pouvait être de quelque avantage, mais qu’on pouvait la différer jusqu’au lendemain. En conséquence, mon maître fut saigné au bras droit le 16 au soir, et on lui tira seize onces de sang. Je remarquai qu’il était très-enflammé. Alors le docteur Bruno dit qu’il avait souvent pressé mon maître de se faire saigner, mais qu’il n’avait pas voulu y consentir. Survint une longue dispute sur le temps que l’on avait perdu, et sur la nécessité d’envoyer à Zante ; sur quoi l’on me dit, pour la première fois, que cela était inutile, parce que mon maître serait mieux ou n’existerait plus avant l’arrivée du docteur Thomas. L’état de mon maître empirait ; mais le docteur Bruno pensait qu’une nouvelle saignée lui sauverait la vie. Je ne perdis pas un moment pour aller dire à mon maître combien il était nécessaire qu’il consentît à être saigné ; il me répondit : Je crains bien qu’ils n’entendent rien à ma maladie. Et, tendant son bras : Tenez, dit-il, voilà mon bras ; faites ce que vous voudrez.

» Milord s’affaiblissait de plus en plus, et le 17 il fut saigné une fois dans la matinée, et une fois à deux heures de l’après-midi. Chacune de ces deux saignées fut suivie d’un évanouissement, et il serait tombé si je ne l’avais pas retenu dans mes bras. Afin de prévenir un semblable accident, j’avais soin de ne pas le laisser remuer sans le supporter.

» Ce jour-là mon maître me dit deux fois : Je ne peux pas dormir, et vous savez que depuis une semaine je n’ai pas dormi. Je sais, ajoutait-il, qu’un homme ne peut être sans dormir qu’un certain temps, après quoi il devient nécessairement fou, sans que l’on puisse le sauver : et j’aimerais mieux dix fois me brûler la cervelle que d’être fou. Je ne crains pas la mort, je suis plus préparé à mourir que l’on ne pense.

» Je ne crois pas que milord ait eu l’idée que sa fin approchait, jusqu’au 18 ; il me dit alors : Je crains que Tita et vous ne tombiez malades, en me veillant ainsi nuit et jour. Je lui répondis que nous ne le quitterions point jusqu’à ce qu’il fût mieux. Comme il y avait eu un peu de délire dans la journée