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LETTRE

protes d’élite de M. Didot un certain nombre de pages dans lesquelles je dise à mes lecteurs comment, pourquoi, dans quelle disposition de l’âme, dans quel site de France, d’Italie, de Savoie ou d’Orient, j’ai chanté ces harmonies, et ce que c’est qu’une harmonie.

Hélas ! mon ami, quel temps pour me demander une préface ? Quel temps pour reporter ma pensée sur ces années de ma jeunesse qui sont aussi mortes et aussi balayées, dans les vallées et dans les torrents de mon passé, que les feuilles de l’été de 1829 dans les ravines de ces montagnes, et dans l’humus végétal des nouvelles floraisons que je foule sous mes pieds ! Une préface ? à moi ? aujourd’hui ? Lisez plutôt le récit de ma journée, et jugez vous-même si je suis en veine d’écrire, soit en vers, soit en prose, à propos de prose ou de vers ; et si je pourrais distraire, par une diversion littéraire quelconque, mon âme, mon cœur, mon esprit, mes yeux, des impressions et des souvenirs qui me possèdent en ce moment pour des heures, mais qui me possèdent tout entier.

Vous savez que je suis venu dans le pays de ma naissance il y a quelques semaines pour rétablir ma santé atteinte jusqu’à la séve, et pour respirer le vieil air toujours jeune des coteaux où nous avons respiré notre première haleine, comme on renvoie à sa nourrice, bien qu’elle n’ait plus le même lait, l’enfant maladif que le régime des villes a énervé ; vous savez que j’y suis venu aussi, et surtout, pour de pénibles déracinements domestiques de propriétés, de maisons paternelles, de séjours, d’affections, d’habitudes, comme on va une dernière fois dans la demeure vénérée de ses pères pour la démeubler avant de secouer la poussière de ses pieds sur le seuil chéri, et de lui dire un pieux adieu. Je suis sous ma tente, en un mot, pour enlever ma tente,