Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 2.djvu/223

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
222
LETTRE

ce chant eût été noté dans des vers, il serait resté l’hymne de la félicité humaine, l’holocauste du bonheur terrestre rallumé dans le cœur de l’homme par la vue des lieux où il fut heureux !

Ce chant intérieur tombait peu à peu en approchant davantage. Ma vieille jument pressait le pas ; elle gravissait le chemin creux qui monte du ruisseau vers le tertre du château ; les jeunes étalons, les mères et les poulains qui paissaient dans les prés voisins accouraient au bruit de ses pas sur les pierres ; ils passaient leurs têtes au-dessus des haies qui bordent le sentier, ils la saluaient de leurs hennissements et la suivaient derrière les buissons en galopant, comme pour faire fête à leur ancienne compagne de prairies.

Hélas ! personne n’apparaissait au-devant de moi ! les feuilles mortes du jardin que le vent et les torrents balayaient seuls jonchaient les pelouses autrefois si vertes, et couvraient le seuil de la barrière entr’ouverte par laquelle on entre dans l’enclos. Un seul vieux chien invalide se traîna péniblement à ma rencontre, et poussa quelques tendres gémissements en léchant les mains de son maître. Une petite fille de douze ans, qui garde les vaches dans l’enclos, entr’ouvrit la porte au bruit des pas de mon cheval. Elle courut dire à la vieille servante, qui filait sa quenouille dans une chambre haute, que j’étais arrivé. La bonne fille descendit, en boitant, l’escalier en spirale, et m’accueillit avec une triste et tendre familiarité dans la cuisine basse, où la cendre froide recouvrait le foyer. J’ôtai la selle et la bride à la jument ; la petite bergère lui ouvrit la barrière et la lança dans le verger.

Après avoir commandé quelques herbages et quelques