Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 2.djvu/484

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Jusqu’à ce qu’un passant, brisant ton humble pierre,
Dispersât sous ses pieds ta gloire et ta poussière,
Et qu’un jour, en sifflant, le berger du vallon
Ne sût plus rassembler les lettres de ton nom.
Ah ! qu’à ces vains regrets ton âme soit fermée !
Le funèbre baiser dont une bouche aimée
Scelle au dernier adieu les lèvres du mourant,
Notre nom qu’un ami rappelle en soupirant,
Les larmes sans témoin dont un œil nous arrose,
Voilà notre épitaphe et notre apothéose
À nous à qui le sort en naissant n’a promis
D’autre immortalité qu’aux cœurs de nos amis !…
Que le sort te la donne à ton heure suprême !
Le souvenir n’est doux que dans un cœur qui t’aime !
Si de ton nom pourtant tu veux l’entretenir,
Grave ces simples mots sur ton urne à venir :

« Là dort d’un doux sommeil, quoique sans mausolée,
Dans le sein de sa mère, un fils de la vallée.
Que t’importe, ô passant, s’il fut célèbre ou non ?
En changeant de patrie il a changé de nom.
Tout près de son berceau sa tombe fut placée ;
Peu d’espace borna sa vie et sa pensée ;
Content de son bonheur, il sut le renfermer
Autour des seuls objets qu’il eût besoin d’aimer,
Une mère, une femme, un ami, la nature ;
Et de ses vœux, en tout, son cœur fut la mesure ;
Ses pas ni ses désirs n’ont jamais dépassé
Cet horizon étroit par ton œil embrassé,
Et pour lui l’univers s’étendait de la pente
Où sous ces peupliers son beau fleuve serpente,
Jusqu’à ces monts voisins d’où l’ombre qui descend
De l’haleine des bois rafraîchit le passant.