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cueillement du sanctuaire n’enveloppait jusque dans mes jeux et dans mes amitiés avec mes camarades. Ils m’approchaient avec une certaine déférence, ils m’aimaient avec réserve.

J’ai peint dans Jocelyn, sous le nom d’un personnage imaginaire, ce que j’ai éprouvé moi-même de chaleur d’âme contenue, d’enthousiasme pieux répandu en élancements de pensées, en épanchements et en larmes d’adoration devant Dieu, pendant ces brûlantes années d’adolescence, dans une maison religieuse. Toutes mes passions futures encore en pressentiments, toutes mes facultés de comprendre, de sentir et d’aimer encore en germe, toutes les voluptés et toutes les douleurs de ma vie encore en songe, s’étaient pour ainsi dire concentrées, recueillies et condensées dans cette passion de Dieu, comme pour offrir au créateur de mon être, au printemps de mes jours, les prémices, les flammes et les parfums d’une existence que rien n’avait encore profanée, éteinte ou évaporée avant lui.

Je vivrais mille ans que je n’oublierais pas certaines heures du soir où, m’échappant pendant la récréation des élèves jouant dans la cour, j’entrais par une petite porte secrète dans l’église déjà assombrie par la nuit, et à peine éclairée au fond du chœur par la lampe suspendue du sanctuaire ; je me cachais sous l’ombre plus épaisse d’un pilier ; je m’enveloppais tout entier de mon manteau comme dans un linceul ; appuyais mon front contre le marbre froid d’une balustrade, et, plongé, pendant des minutes que je ne comptais plus, dans une muette mais intarissable adoration, je ne sentais plus la terre sous mes genoux ou sous mes pieds, et je m’abîmais en Dieu, comme l’atome flottant dans la chaleur d’un jour d’été s’élève, se noie, se perd dans l’atmo-