Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/139

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haute de la tour, me répondit. Je déposai mon fusil au pied du mur en talus. Je grimpai le rempart. Je sautai sur la terrasse. Au même instant, la porte de la tour s’ouvrit. Lucy, franchissant le dernier degré et marchant comme quelqu’un qui veut assoupir le bruit de ses pas, s’avança vers l’allée où je l’attendais un peu dans l’ombre. Une lune splendide éclairait de ses gerbes froides, mais éblouissantes, le reste de la terrasse, les murs et les fenêtres de la tour, les flancs de la vallée.

Nous étions enfin au comble de nos rêves. Nos cœurs battaient. Nous n’osions ni nous regarder ni parler. J’essuyai cependant avec la main un banc de pierre couvert de neige glacée. J’y étendis mon manteau, que je portais plié sous mon bras, et nous nous assîmes un peu loin l’un de l’autre. Nul de nous ne rompait le silence. Nous regardions tantôt à nos pieds, tantôt vers la tour, tantôt vers le ciel. A la fin je m’enhardis : « O Lucy ! lui dis-je, comme la lune rejaillit pittoresquement d’ici de tous les glaçons du torrent et de toutes les neiges de la vallée ! Quel bonheur de la contempler avec vous ! — Oui, dit-elle, tout est plus beau avec un ami qui partage vos admirations pour ces paysages. » Elle allait poursuivre, quand un gros corps noir, passant comme un boulet par-dessus le mur du parapet, roula dans l’allée, et vint, en deux ou trois élans, bondir sur nous en aboyant de joie.

C’était mon chien qui m’avait suivi de loin, et qui, ne me voyant pas redescendre, s’était élancé sur ma piste et avait grimpé comme moi le mur de la terrasse. A sa voix et à ses bonds dans le jardin, les chiens de la cour répondirent par de longs aboiements, et nous aperçûmes dans l’intérieur de la maison la lueur d’une lampe qui passait