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à elle dans l’âme de Virginie. Elle semblait avoir mûri de six ans dans cette demi-heure. Les teintes orageuses de la passion marbraient son front, le blanc azuré de ses yeux et de ses joues. C’était comme une eau calme et abritée où le soleil, le vent et l’ombre seraient venus à lutter tout à coup pour la première fois. Nous ne pouvions nous lasser de la regarder dans cette attitude. Elle, qui jusque-là, ne nous avait inspiré que de l’enjouement, nous inspira presque du respect. Mais ce fut en vain qu’elle nous conjura de continuer ; nous ne voulûmes pas user notre puissance en une seule fois, et ses belles larmes nous plaisaient trop à faire couler pour en tarir la source en un jour. Elle se retira en boudant et éteignit la lampe avec colère.


XVI


Le lendemain, quand je la revis sous les treilles et que je voulus lui parler elle se détourna comme quelqu’un qui cache ses larmes et refusa de me répondre. On voyait à ses yeux bordés d’un léger cercle noir, à la pâleur plus mate de ses joues et à une légère et gracieuse dépression des coins de sa bouche, qu’elle n’avait pas dormi, et que son cœur était encore gros des chagrins imaginaires de la veillée. Merveilleuse puissance d’un livre qui agit sur le cœur d’une enfant illettrée et d’une famille ignorante avec toute la force d’une réalité, et dont la lecture est un événement dans la vie du cœur !

C’est que de même que je traduisais le poème, le poème avait traduit la nature, et que ces événements si