Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/307

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sait le plus ma jeunesse. « Puisque vous cultivez tant votre esprit, me dit un soir madame de Vincy, vous devez être un des admirateurs de notre voisine, madame de Staël ? ». J’avouai avec chaleur ma passion pour l’auteur de Corinne. Je vis que l’émotion de mon âme et l’enthousiasme de mon admiration inspiraient un pli de dedain aux lèvres de M. de Vincy et faisaient un peu de peine à sa femme. « Je voudrais pouvoir vous conduire chez votre héroïne, me dit-elle ; je connais beaucoup madame de Staël. J’aime son caractère. Je rends justice à sa bonté et à sa bienfaisance. Mais nous ne la voyons plus. Ses opinions et les nôtres nous séparent. Elle est fille de la révolution par M. Necker. Nous sommes de la religion du passé, Nous ne pouvons pas plus communier ensemble que la démocratie et l’aristocratie. Bien qu’en ce moment nous soyons unis par la haine commune contre Bonaparte, nous ne devons pas nous voir, car cette haine n’a pas le même principe. Nous détestons en lui la révolution qui nous a précipités de notre rang et de notre souveraineté à Berne. Elle déteste en lui la contre-révolution. Nous ne nous entendrions pas. Quant à vous, c’est différent. Madame de Stael est une gloire neutre qui brille sur tous les partis et qui doit fasciner un cœur de vingt ans. Vous devez désirer de la voir. Cependant vous nous feriez quelque peine si vous alliez chez elle pendant que vous êtes chez nous. Nos amis ne comprendraient pas ces relations indirectes entre deux châteaux habités par deux esprits différents. »