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était à libre allure ; il ne pouvait marcher dans l’ornière de personne ; il se traçait la sienne au gré de ses caprices ; il était né pour les solitudes de l’esprit.


XVI


S’il étudiait moins que nous, il pensait beaucoup plus. Son guide était Montaigne, de qui sa mère descendait. Ce génie amuseur et douteur avait passé en partie avec le sang dans ce jeune homme. Le livre de Montaigne était son vade mecum. Dès l’âge de douze ans, il savait par cœur presque tous les chapitres de cette encyclopédie du scepticisme. Il me les récitait sans cesse. Je combattais de toutes mes forces ce goût exclusif pour Montaigne. Ce doute qui se complaît à douter me paraissait infernal. L’homme est né pour croire ou pour mourir. Montaigne ne peut produire que la stérilité dans l’esprit qui le goûte. Ne rien croire, c’est ne rien faire.

Le cynisme aussi des expressions de Montaigne heurtait et froissait la délicatesse de ma sensibilité. La saleté des mots est une souillure de l’âme. Un mot obscène faisait sur mon esprit la même impression qu’une odeur infecte sur mon odorat. Je n’aimais de Montaigne que cette nudité charmante du style qui dévoile les formes gracieuses de l’esprit et laisse voir jusqu’aux palpitations du cœur sous l’épiderme de l’homme. Mais sa philosophie me faisait pitié. Ce n’est pas la philosophie du pourceau, car il pense. Ce n’est pas la philosophie de l’homme, car il ne conclut rien. Mais c’est la philosophie de l’enfant qui joue avec tout.

Or, ce monde n’est pas un enfantillage. L’œuvre de