Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/393

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curiosité machinale me fit rejoindre la route au point et au moment précis où l’enfant, revenant sur ses pas, allait rejoindre les deux femmes. Elles cheminaient, sans se parler, devant nous. Je liai conversation avec l’enfant en marchant du même côté et en mesurant mes pas sur les siens. Je sus, après un court dialogue, que le voyageur était le frère aîné de l’enfant ; qu’il était le fiancé de la belle fille, dont le nom était Marguerite ; que la vieille femme était la mère de Marguerite ; que ces deux femmes habitaient le premier village de la Maurienne, ainsi que son frère et lui ; qu’elles avaient voulu accompagner le partant jusqu’au milieu de sa première journée de marche vers la France ; que le nom de ce frère était José ; qu’il s’était estropié en tombant de la cime d’un noyer dont il cueillait les noix pour la mère de Marguerite, un an avant l’âge de la conscription ; que ce malheur lui avait été heureux parce qu’il l’avait dispensé de servir comme soldat, et que la mère de la belle Marguerite, enviée de tous les plus riches des hameaux voisins, lui avait promis sa fille en récompense de l’accident éprouvé pour son service ; que Marguerite et José s’aimaient comme s’ils étaient frère et sœur ; qu’ils se marieraient quand José aurait gagné assez pour acheter le petit verger qui était derrière la maison de son père ; qu’il avait appris pour cela deux états conformes à son infirmité, qui lui interdisait les rudes travaux du corps, l’état d’instituteur dans les villages, et de ménétrier dans les fêtes et dans les noces ; enfin qu’il partait ainsi tous les automnes pour aller exercer ces deux états durant l’hiver dans les montagnes, derrière Lyon ; mais qu’on croyait bien que c’était son dernier voyage, car il avait déjà rapporté trois fois une bourse de cuir bien ronde, et son départ faisait tant pleurer Marguerite, et elle était si triste pendant son