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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/406

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du sentiment et de la pensée qu’il en coûterait horriblement de découvrir, et qu’un scrupule honnête, naturel, ne nous permettrait jamais de dénuder sans un remords de pudeur violée ! Il y a l’indiscrétion du cœur ; j’en conviens avec vous ; je l’ai cruellement ressenti moi-même, la première fois qu’ayant écrit quelques rêves poétiques de mon âme, quelques épanchements trop réels de mes sentiments, je les lus a mes plus intimes amis. Mon front se couvrit de rougeur, et je ne pus pas achever la lecture. Je leur dis : « Non, je ne puis aller plus avant ; vous lirez cela. — Et comment, me dirent ces amis, tu ne peux pas nous lire a nous ce que tu vas donner at lire à toute l’Europe ? — Non, dis-je ; je ne sais pas pourquoi, mais je n’éprouve aucune honte à laisser lire cela au public, et j’éprouve une répugnance invincible à le lire face à face seulement à deux ou trois de mes amis. »

Ils ne me comprirent pas, je ne me comprenais pas moi-même. Nous nous récriâmes ensemble contre l’inconséquence du cœur humain. Depuis, j’ai toujours éprouvé cette même répugnance instinctive à lire à une seule personne ce que je n’avais aucun effort à faire pour le laisser lire au public ; et, après y avoir longtemps réfléchi, j’ai trouvé que cette inconséquence apparente était au fond une parfaite logique de notre nature.

Pourquoi, en effet ? C’est qu’un ami c’est quelqu’un, et que le public ce n’est personne ; c’est qu’un ami a un visage, et que le public n’en a pas ; c’est qu’un ami est un être présent, écoutant, regardant, un être réel, et que le public est un être invisible, un être de raison, un être abstrait ; c’est qu’un ami a un nom, et que le public est anonyme ; c’est qu’un ami est un confident, et que le public est une fiction. Je rougis devant l’un parce