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Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/59

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l’herbe pour les blanchir ai la rosée ; tantôt de légers coups de vent les déchirent, les replient des deux côtés d’une rangée de collines, et laissent apercevoir par moments entre eux de Grandes perspectives fantastiques éclairées par des traîãées de lumière horizontales qui ruissellent du globe à peine levé du soleil. Il n’est pas bien jour encore dans le village. Je me lève. Mes habits sont aussi grossiers que ceux des petits paysans voisins ; ni bas, ni souliers, ni chapeau ; un pantalon de grosse toile écrue, une veste de drap bleu à longs poils, un bonnet de laine teint en brun, comme celui que les enfants des montagnes de l’Auvergne portent encore, voilà mon costume. Je jette par-dessus un sac de coutil qui s’entrouvre sur la poitrine comme une besace à grande poche. Cette poche contient, comme celle de mes camarades, un gros morceau de pain noir mêlé de seigle, un fromage de chèvre, gros et dur comme un caillou, et un petit couteau d’un sou, dont le manche de bois mal dégrossi contient en outre une fourchette de fer à deux longues branches. Cette fourchette sert aux paysans, dans mon pays, à puiser le pain, le lard et les choux dans l’écuelle où ils mangent la soupe. Ainsi équipé, je sors et je vais sur la place du village, près du portail de l’église, sous deux gros noyers. C’est là que, tous les matins, se rassemblent, autour de leurs moutons, de leurs chèvres et de quelques vaches maigres, les huit ou dix petits bergers de Milly, à peu près du même âge que moi, avant de partir pour les montagnes