Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 29.djvu/6

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

présence, de peur que nos mains ne prissent la ciguë pour le persil parmi cette végétation touffue et trompeuse de la pensée humaine, où la panacée croît si près du poison.

Tu te souviens aussi de tes voyages de vacances à Milly, où tu as connu ma mère, qui t’aimait presque comme un fils ! Sa gracieuse figure, ses yeux imbibés de la tendresse de son âme, le timbre ému et mouvant de sa voix, son sourire de paix où se répandait toujours une bonté, où jamais la plus légère raillerie ne contractait les lèvres, sont-ils restés dans ta mémoire ?

« Quel rapport y a-t-il, me diras-tu, entre tout cela, le château de Bien-Assis, la maisonnette de Milly, ma mère et la tienne, et la publication de ces pages de ta jeunesse ? »

Tu vas voir !

Ma mère avait l’habitude, prise de bonne heure, dans l’éducation un peu romaine qu’elle avait reçue à Saint-Cloud, de mettre un intervalle de recueillement entre le jour et le sommeil, comme les sages cherchent à en mettre un entre la vie et la mort. Quand tout le monde était couché dans sa maison, que ses enfants dormaient dans leurs petits lits autour du sien, qu’on n’entendait plus que le souffle régulier de leurs respirations dans la chambre, le bruit du vent contre les volets, les aboiements du chien dans la cour, elle ouvrait doucement la porte d’un cabinet rempli de livres d’éducation, de dévotion, d’histoire ; elle s’asseyait devant un petit bureau de bois de rose incrusté d’ivoire et de nacre, dont les compartiments dessinaient des bouquets de fleurs d’oranger ; elle tirait d’un tiroir de petits cahiers reliés en carton gris comme des livres de compte. Elle écrivait sur ces feuilles, pendant une ou deux heures, sans relever la