Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 3.djvu/203

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» Quand tu flottais comme un navire

Dans l’écume de feu de l’aurore ou du soir ;
Quand tes mers, se gonflant comme un sein qui respire,
Venaient lécher du flot le bord qui les attire,
Et polir sous tes caps un onduleux miroir,
Où tes divers tableaux que ridait le zéphire
Brillaient et s’effaçaient comme un léger sourire
Que l’œil voudrait fixer et ne fait qu’entrevoir ;

» Quand tes cimes portaient le palais des nuages,
Et que, fendant soudain leur cintre divisé,
Les rayons, se mêlant aux lueurs des orages,

Sur les flancs des rochers sauvages
Ruisselaient de plages en plages,

Comme un éclair perçant sous un dôme brisé ;
Quand ce jour faux et teint d’une couleur qui change,

Flottant au gré de l’aquilon,

Comme un reflet de feu des ailes d’un archange,
Glissait en colorant ton magique horizon,
Et, frappant tour à tour ta crête ou tes abîmes,
Faisait étinceler tes neiges sur tes cimes,
Tes cascades pleuvant dans leurs gouffres poudreux,
Tes hameaux blanchissant sur un fond ténébreux,
Tes fleuves engouffrés sous leur arche arrondie,
Et tes mers écumant comme un vaste incendie,
Et les toits des cités resplendissant de feux :

» Oh ! qui pouvait te voir sans palpiter d’extase,
Sans tomber à genoux devant ton créateur ?
Oh ! qui pourrait te voir sans qu’un poids ne l’écrase,
Un poids comme le mien, de honte et de malheur ?