Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 3.djvu/218

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Tous mes jours maintenant sont à lui dès l’aurore,

Ils sont à lui jusqu’au sommeil :

C’est en lui que mon cœur se lève à mon réveil,
Mon cœur, en s’endormant, en lui se couche encore.
Je ne me souviens plus quel sens avaient ces mots :
Amour qu’use le temps, gloire qu’un jour efface,
Espoir qui nous trahit, volupté qui nous lasse,
Ils n’ont pas dans mon âme imprimé plus de trace

Que le nuage sur les flots !

Ils sont à mon oreille une langue étrangère
Qu’on entend résonner et qu’on ne comprend pas ;
Et j’ai même oublié l’impression légère
Qu’ils faisaient sur mon cœur quand j’étais d’ici-bas.

Ah ! qu’une seule idée à sa source élancée
Fait franchir de distance à l’âme qui la suit !
Qu’un seul rayon d’en haut éclaire la pensée !
Le jour diffère moins des ombres de la nuit,
Et le couchant, Seigneur, est moins loin de l’aurore,

Que l’âme qui t’adore
De l’âme qui te fuit !


Depuis que, des mortels abandonnant la scène,
J’ai rejeté le pain dont leurs cœurs sont nourris,
Mes cheveux ont blanchi comme le tronc du chêne,
En rides sur mon front mes jours se sont écrits,
Et les ans, lourds anneaux ajoutés à ma chaîne,
Ont courbé sous leur poids mes membres amaigris.
Mais je n’ai pas compté combien de fois la terre
A respiré d’en haut le souffle du printemps ;

Combien de fois sur mon roc solitaire

L’aigle a changé sa plume et le chêne ses glands.