Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 3.djvu/25

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La vie a dispersé, comme l’épi sur l’aire,
Loin du champ paternel les enfants et la mère,
Et ce foyer chéri ressemble aux nids déserts
D’où l’hirondelle a fui pendant de longs hivers.
Déjà l’herbe qui croît sur les dalles antiques
Efface autour des murs les sentiers domestiques,
Et le lierre, flottant comme un manteau de deuil,
Couvre à demi la porte et rampe sur le seuil ;
Bientôt peut-être… — Écarte, ô mon Dieu, ce présage !
Bientôt un étranger, inconnu du village,
Viendra, l’or à la main, s’emparer de ces lieux
Qu’habite encor pour nous l’ombre de nos aïeux,
Et d’où nos souvenirs des berceaux et des tombes
S’enfuiront à sa voix, comme un nid de colombes
Dont la hache a fauché l’arbre dans les forêts,
Et qui ne savent plus où se poser après !

Ne permets pas, Seigneur, ce deuil et cet outrage !
Ne souffre pas, mon Dieu, que notre humble héritage
Passe de mains en mains, troqué comme un vil prix,
Comme le toit du vice ou le champ des proscrits ;
Qu’un avide étranger vienne d’un pied superbe
Fouler l’humble sillon de nos berceaux sur l’herbe,
Dépouiller l’orphelin, grossir, compter son or
Aux lieux où l’indigence avait seule un trésor,
Et blasphémer ton nom sous ces mêmes portiques
Où ma mère à nos voix enseignait des cantiques !
Ah ! que plutôt cent fois, aux vents abandonné,
Le toit pende en lambeaux sur le mur incliné ;
Que les fleurs du tombeau, les mauves, les épines,
Sur les parvis brisés germent dans les ruines ;
Que le lézard dormant s’y réchauffe au soleil,
Que Philomèle y chante aux heures du sommeil,